L’échange d’informations entre autorités administratives et judiciaires

Premiers éclaircissements tirés de l’arrêt w ebmindlicences, C-419/14

I. Introduction

Nombreux sont les domaines règlementés par le droit de l’Union qui s’appuient sur un double système de contrôle et de sanction. Le parfait exemple est la lutte contre la fraude préjudiciable aux intérêts financiers de l’UE, qui fait l’objet aussi bien d’enquêtes administratives que de poursuites pénales.1 Le développement de ce que la littérature anglophone appelle « double track enforcement systems » présuppose par son essence même la coordination et coopération entre autorités administratives, d’une part, et autorités policières et judiciaires, d’autre part.2 La question s’avère d’autant plus complexe que l’éventail de modèles existants est vaste et varié. Au regard du droit national, certains Etats membres admettent la conduite parallèle de procédures administratives et pénales, tandis que d’autres ont opté pour une séparation stricte des deux volets, l’engagement de poursuites excluant dès lors l’intervention des autorités administratives.3 Cette tentative de classification ne suffit cependant pas traduire toute la complexité de la problématique. D’une part, le modèle varie en fonction du secteur d’activité concerné. D’autre part, les dispositions nationales régissant la coopération entre autorités judiciaires et administratives sont souvent rares et éparses. Les mêmes incertitudes apparaissent au niveau supranational. Les instruments de coopération judiciaire en matière pénale ont été élaborés indépendamment des mécanismes sectoriels d’assistance administrative mutuelle. Le développement décousu de la réglementation s’est fait aux dépens des normes de coordination entre autorités administratives et pénales.4

L’expérience démontre cependant que la répression efficace des fraudes au budget de l’Union présuppose la coordination entre procédures administratives et pénales parallèles. Dans quelle mesure les autorités administratives et judiciaires compétentes peuvent-elles échanger des informations ? Et plus encore, quelles conditions encadrent l’utilisation « transprocédurale » des preuves collectées ?5 De premiers éléments de réponse ont été apportés en décembre dernier par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).6 Le litige au principal opposait une société commerciale immatriculée en Hongrie sous le nom de WebMindLicences (ci-après WML) aux autorités fiscales hongroises. Ces dernières ont procédé à une série de redressements fiscaux visant le paiement de la TVA en Hongrie que la société aurait éludé moyennant une opération économique fictive. Plus précisément, WML avait acquis en 2009 une société établie au Portugal et cédé à celle-ci une licence relative à l’exploitation d’un site Internet par lequel étaient fournis des services audiovisuels interactifs à caractère érotique. Les contrôles menés par le fisc hongrois ont cependant établi que l’entreprise portugaise n’avait jamais effectivement exploité le savoir-faire transféré par WML, le but de l’opération étant de contourner la législation fiscale hongroise moins avantageuse que celle en vigueur au Portugal. WML a attaqué devant les juridictions hongroises la décision des autorités fiscales sanctionnant la pratique qu’elles considéraient abusive. La société faisait notamment valoir que ladite décision s’appuyait sur des preuves obtenues à son insu au moyen d’interceptions de télécommunications et d’une saisie de courriers électroniques dans le cadre d’une procédure pénale parallèle à laquelle la société n’avait pas eu accès.7 Le tribunal hongrois a ainsi saisi la CJUE d’un renvoi préjudiciel, soulevant entre autres la question de savoir si et dans quelles limites une autorité fiscale nationale peut recueillir des preuves collectées par des moyens secrets dans le cadre d’une procédure pénale parallèle et fonder sur celles-ci une décision administrative.

II. Des limites dictées par le respect des droits garantis par la Charte

Tel que nous l’avons précédemment évoqué, rares sont les dispositions du droit de l’Union qui réglementent l’échange d’informations entre autorités administratives et judiciaires et encore plus rares – si ce n’est inexistantes – celles relatives à l’utilisation « transprocédurale » des preuves.8 C’est pourquoi la Cour de justice rappelle tout d’abord que les éléments constitutifs d’une pratique abusive définie par la directive TVA doivent être établis conformément aux règles de preuve du droit national.9 Si l’élaboration du régime probatoire applicable relève de l’autonomie procédurale des Etats membres, leur marge de manœuvre rencontre toutefois des limites lorsque l’application de dispositions procédurales nationales participe à la mise en œuvre du droit de l’UE. L’arrêt WebMindLicences offre encore une fois à la Cour l’occasion de rappeler que la TVA figure parmi les recettes qui financent le budget de l’Union.10 Comme il avait été jugée dans le célèbre arrêt Åkerberg Fransson,11 un redressement de la TVA à la suite de la constatation d’une pratique abusive n’a pas pour seul objectif l’exacte perception de la taxe qu’il incombe aux autorités nationales d’assurer en vertu de la directive TVA.12 Il constitue également la mise en œuvre de l’obligation pour les États membres de prendre des mesures effectives et dissuasives permettant de lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, tel qu’il résulte de l’article 325 TFUE.13

Ce second constat a une double conséquence sur les règles procédurales nationales. Lu à la lumière du devoir de coopération loyale, l’obligation de l’article 325 TFUE impose au juge national d’écarter les dispositions nationales qui empêchent l’infliction de sanctions dissuasives et effectives à l’encontre des fraudes au budget de l’Union. Un exemple sont les délais de prescriptions particulièrement courts prévus par le droit italien en matière de TVA, dont la compatibilité avec le droit européen était mise en doute dans l’affaire Taricco.14 Analysée sous l’angle de l’article 51 para. 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), la situation sur laquelle porte le litige au principal est régie par le droit de l’Union et, de ce fait, doit être tranchée en conformité avec les droits fondamentaux garantis par l’ordre juridique de l’UE.

C’est par conséquent à travers l’interprétation de la Charte que la CJUE esquisse les limites dans lesquelles des preuves récoltées au pénal peuvent être transmises et utilisées dans le cadre d’une procédure administrative parallèle. Il est intéressant de noter que, contrairement aux conclusions de l’avocat général,15 l’arrêt n’aborde pas la question dans une unique dimension « transprocédurale ». La Cour construit au contraire son raisonnement en distinguant les différentes étapes procédurales en cause, chacune ayant un impact sur la légalité de la décision finale : l’obtention des preuves dans le cadre de la procédure pénale, le recueil et l’utilisation de ces mêmes preuves dans la procédure administrative ainsi que la portée du contrôle exercé par les juges nationaux.

III. La collecte et l’utilisation « transprocédurale » des preuves

Dans l’affaire WebMindLicences, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si une décision administrative imposant un redressement fiscal à une société peut se fonder sur les preuves obtenues à l’insu de celle-ci dans le cadre d’une procédure pénale parallèle. Si le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à une telle pratique, la CJUE souligne cependant que la légalité de la décision litigieuse réside dans le respect du droit à la vie privée au moment de la collecte des informations probantes lors de l’enquête pénale ainsi que dans leur utilisation subséquente par les autorités administratives.16 Le contrôle opéré est dès lors double.

1. L’appréciation du caractère proportionnel et nécessaire de l’atteinte à la vie privée

S’agissant de la collecte de preuves dans le cadre des poursuites pénales, la CJUE constate tout d’abord qu’aussi bien les interceptions de télécommunications que la saisie de courriers électroniques constituent des ingérences dans le droit garanti à l’article 7 de la Charte.17 Les limitations au droit à la vie privée sont admises dès lors qu’elles remplissent les conditions énumérées à l’article 52 para. 1 de la Charte : toute restriction doit être prévue par la loi, respecter le principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union. En examinant le caractère proportionnel de l’atteinte à la vie privée, la Cour précise que les mesures d’investigations en question « ayant été effectuées dans le cadre d’une procédure pénale, c’est au regard de celle-ci que doivent être appréciés leur but et nécessité ».18 Les juges relèvent tout d’abord que l’emploi de mesures d’investigation pénales dans la lutte contre l’évasion à la TVA répond à l’objectif d’intérêt général de protection des intérêts financiers de l’Union.19 Quant à la nécessité des interceptions et saisies, l’arrêt se réfère explicitement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH). Or, contrairement à l’interception de télécommunication, la saisie de courriers électroniques avait été opérée sans autorisation judiciaire préalable. Dans de telles circonstances, l’atteinte à la vie privée est compatible avec la Charte à condition que « la législation et la pratique internes offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire ».20 De telles garanties résident plus précisément dans la possibilité pour la personne visée par la saisie de solliciter a posteriori un contrôle juridictionnel tant de la légalité que de la nécessité de la mesure d’enquête au regard des conditions particulières de l’affaire en cause. En d’autres termes, il revient au juge statuant sur la décision administrative de vérifier si une telle garantie est offerte à la personne visée par la saisie dans le cadre de la procédure pénale parallèle.

Au-delà de la collecte des preuves, le respect de l’article 7 de la Charte s’impose également dans l’utilisation par l’administration fiscale des preuves collectées par des mesures intrusives de la vie privée.21 Les paramètres d’appréciation ne se rattachent pas, cette fois, aux investigations pénales qui ont permis la collecte d’éléments probants. Les conditions de l’article 52 para. 1 de la Charte s’analysent au regard de la procédure administrative au service de laquelle les preuves sont utilisées. D’une part, l’utilisation des preuves issues de l’enquête pénale par les autorités fiscales doit être prévue de manière suffisamment claire et précise par les dispositions de droit national, de manière à offrir « une certaine protection contre d’éventuelles atteintes arbitraires de cette administration ».22 Reste à savoir si une loi nationale se limitant à affirmer la liberté de la preuve devant les instances administratives remplit les exigences de clarté et de précision mentionnées ou si de telles dispositions doivent pour le moins s’accompagner de règles autorisant l’échange d’informations entre autorités administratives et judiciaires. D’autre part, l’utilisation des preuves issues des interceptions et saisies doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités fiscales. Il convient notamment de rechercher, selon la Cour, si des moyens d’investigation moins attentatoires du droit à la vie privée tels qu’un simple contrôle dans les locaux de la société ou une demande d’information aux autorités fiscales étrangères auraient permis d’obtenir toutes les informations nécessaires.23 La réponse varie nécessairement en fonction des circonstances de l’affaire ainsi que des prérogatives dont jouit l’autorité administrative compétente.

2. La portée des droits de la défense dans la procédure administrative

L’utilisation des preuves collectées est également subordonnée au respect des droits de la défense au cours de la procédure administrative. Il importe à cet égard de souligner que la CJUE exclut l’applicabilité de l’article 48 de la Charte au litige au principal, dans la mesure où la disposition protège uniquement les droits de l’accusé.24 La Cour ne s’interroge cependant pas sur la « coloration pénale » de la procédure administrative en cause, qui, au sens de l’article 6 de la CEDH, imposerait le respect des garanties procédurales au-delà des enquêtes et poursuites pénales stricto sensu.25 Toutefois, précise la CJUE, le respect des droits de la défense s’impose dans le cadre des procédures administratives nationales qui ont pour finalité l’adoption d’un acte faisant grief sous couvert d’un principe général du droit de l’Union.26 Ce faisant, la Cour laisse entendre que l’utilisation « transprocédurale » des preuves ne doit pas servir à contourner le respect des garanties profitant à la personne sanctionnée. En l’espèce, WML alléguait la violation de son droit d’être informé et entendu, puisque les éléments sur lesquelles la décision administrative litigeuse était fondée avaient été récoltés à son insu au cours d’une procédure pénale parallèle. Or, le litige porté devant la juridiction de renvoi ne concerne pas l’éventuelle sanction pénale prononcée par les juridictions nationales, mais bien la légalité de la décision administrative s’appuyant sur des interceptions et saisies. Dès lors, l’autorité compétente pour statuer sur une telle décision doit s’assurer que WLM ait eu la possibilité de prendre connaissance des preuves et d’être entendu sur celles-ci dans le cadre de la procédure administrative afin d’en assurer le contradictoire.27 Tel semble être le cas en l’espèce, puisque la société a eu accès aux transcrits des conservations téléphoniques et des courriers électroniques avant que l’autorité fiscale n’ait procédé au redressement.

IV. Le respect des droits fondamentaux dans l’échange d’informations, une question irrésolue

Bien que la Cour ait analysé successivement le respect des droits fondamentaux dans les différentes étapes des procédures en cause, une question reste ouverte. En effet, la transmission des preuves par les autorités chargées de l’enquête pénale à l’administration fiscale est abordée sous l’angle de l’article 8 de la Charte. Toutefois, la Cour fait valoir que la protection des données personnelles garantie par la disposition profite uniquement aux personnes physiques, les personnes morales telles que WML ne pouvant donc pas se prévaloir de ce droit.28 Bien que la question du transfert d’information soit ainsi évacuée, deux interrogations surgissent. Premièrement, faut-il déduire de l’arrêt que l’échange de données relatives à des personnes morales entre autorités administratives, policières et judiciaires ne rencontre pas de limites particulières découlant des droits fondamentaux ? Deuxièmement, qu’en est est-il de l’échange d’informations relatives à des personnes physiques ? Conformément à l’article 8 para. 2 de la Charte, toutes données personnelles doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Cela présuppose avant tout l’existence d’une disposition légale en droit national prévoyant une telle possibilité. Des exemples sont les obligations de dénonciation ou d’information incombant aux autorités administratives vis-à-vis du procureur. S’agissant de leur but légitime, il est aisément identifiable dans la lutte contre l’évasion fiscale et l’exacte perception des impôts. Plus délicate pourrait s’avérer l’appréciation du caractère nécessaire et proportionné de l’atteinte à la protection des données personnelles que constitue l’échange d’informations. A cet égard, un critère d’appréciation peut être formulé par analogie au raisonnement qu’adopte la CJUE quant à l’utilisation et la collecte des preuves. Les articles 8 et 52 de la Charte s’opposeraient au transfert des preuves collectées dans le cadre d’une procédure pénale aux autorités en charge d’une procédure administrative parallèle lorsque celui-ci va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’exacte perception par les autorités fiscales de la TVA dans le cadre et à la lumière des circonstances particulières de l’affaire.

V. L’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif

Les conditions légales tenant à l’utilisation « transprocédurale » des preuves ne sont pas à elles-seuls suffisants. Encore faut-il que la juridiction nationale soit en mesure d’exercer un contrôle et sanctionner les éventuelles violations des droits fondamentaux ainsi constatées. Il s’agit en d’autres termes de déterminer si le juge national appelé à statuer sur la légalité de la décision litigieuse exerce un contrôle effectif au sens de l’article 47 de la Charte. La Cour a estimé que la protection juridictionnelle effective de l’assujetti exige que la juridiction compétente puisse contrôler le respect des droits fondamentaux garantis par le droit de l’Union à la fois dans l’obtention et l’utilisation des preuves.29 Toutefois, il est difficilement envisageable que les compétences de contrôle d’un tribunal saisi d’un recours à l’encontre d’une décision prise par l’administration fiscale puissent s’étendre aux vices de procédure commis dans une procédure pénale parallèle. A cet égard, la CJUE n’exige pas nécessairement que le contrôle soit directement exercé par la juridiction intervenant dans le cadre de la procédure administrative. Cette dernière peut également fonder son appréciation sur le contrôle préalablement exercé par une juridiction pénale dans le cadre d’une procédure contradictoire.30 Deux observations s’imposent. En premier lieu, le moment auquel le contrôle opéré par le juge pénal intervient et, par voie de conséquence, l’état d’avancement de la procédure pénale parallèle peuvent avoir un impact sur la possibilité d’utiliser les informations transmises dans le cadre de la procédure administrative. En second lieu, la procédure de contrôle doit revêtir un caractère contradictoire. Son effectivité serait ainsi subordonnée à la possibilité pour la personne visée d’accéder aux éléments probants et être entendue sur ces derniers.

S’agissant des conséquences juridiques tirées d’une violation des droits individuels, l’arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE en matière de procédures administratives devant les instances européennes.31 Lorsque la collecte et l’utilisation des preuves viole le droit au recours effectif ou d’autres garanties fondamentales protégées par le droit de l’Union, celles-ci « doivent être écartées et la décision attaquée qui repose sur ces preuves doit être annulée si, de ce fait, celle-ci se trouve sans fondement ».32

VI. Conclusions

L’arrêt WebMindLicences est le reflet des nombreuses interrogations que soulève l’interaction entre procédures administratives et pénales. Alors que le modèle des enquêtes multidisciplinaires impliquant à la fois des autorités judiciaires, policières et administratives33 se développe dans différents domaines, l’absence de dispositions légales précises encadrant leur coopération fait du respect des droits fondamentaux dans un contexte « transprocédural » une question cruciale. Qu’il s’agisse de l’échange d’information ou de l’utilisation des preuves, la difficulté réside dans les différents niveaux de protection que les procédures administratives et pénales accordent aux particuliers. En articulant son examen autours du respect des droits fondamentaux aux différents étapes procédurales de l’affaire, la CJUE s’efforce d’assurer que l’interaction entre procédures administratives et pénales parallèles ne contourne pas les garanties que l’individu tire du droit de l’Union et, plus particulièrement, de la Charte. La réponse apportée par la Cour consiste dès lors en une liste de conditions relatives à la légalité de la collecte et utilisation des preuves dont le contrôle doit être assurée par les juges administratif ou pénal nationaux conformément à leur compétences juridictionnelles respectives : la nécessité de l’emploi des moyens d’investigation secrets au cours de l’enquête pénale mis en œuvre sur fondement et conformément à une disposition légale, l’existence d’une base légale autorisant l’utilisation de telles preuves dans une procédure administrative et le caractère nécessaire d’une telle utilisation, le respect du droit pour le défendeur d’avoir accès aux preuves et être entendu sur celles-ci devant les instances administratives compétentes, enfin l’obligation d’écarter les preuves illégales ou dont le légalité n’est soumise à aucun contrôle juridictionnel. Au terme de cet examen, le juge national est tenu d’annuler la décision finale seulement si, une fois les éléments de preuve écartés, celle-ci se trouve sans fondement.

Un raisonnement analogue pourrait s’appliquer à l’utilisation au procès pénal de preuves recueillies par des enquêteurs administratifs. La CourEDH a en effet retenu qu’il revient au juge pénal d’examiner la recevabilité des preuves collectées au cours de l’enquête administrative à la lumière du droit au procès équitable, bien que le respect du droit de ne pas s’incriminer soi-même ne s’impose pas aux enquêteurs administratifs.34 Nul ne doute que la CJUE aura à son tour l’occasion de se prononcer sur une question semblable.


  1. En effet, la lutte contre la fraude préjudiciable au budget de l’UE relève à la fois des compétences des autorités administratives nationales et européennes et des autorités judiciaires des Etats membres lorsque le comportement visé constitue une infraction pénale. Sur le développement historique des compétences en matière de lutte antifraude, voy. J. Inghelram, Legal and Institutional Aspects of the European Anti-fraud Office, Groningen 2011, p. 7 ss.

  2. V. Covolo, L’émergence d’un droit pénal en réseau. Analyse critique du système européen de lutte antifraude, Baden-Baden 2015, p. 328 ss.

  3. K. Šugman, M. Jager, The organisation of administrative and criminal law in national legal systems: exclusion, organized or non-organized co-existence, in F.Galli, A. Weyembergh (éd.), Do labels still matter? Blurring boundaries between administrative and criminal law. The influence of the EU, Bruxelles 2014, p. 156 ss.

  4. K. Ligeti, M. Simonato, Multidisciplinary investigations into offences against the financial interests of the EU: a quest for an integrated enforcement concept, in: F.Galli, A. Weyembergh (éd.), op. cit., p. 88 – 89.

  5. Le terme est employé par Vervaele pour désigner l’interaction entre procédures administratives et pénales en matière. Voy. J.Vervaele, Compétences communautaires normatives et opérationnelles en matière d’enquête administrative et judiciaire, recueil des preuves et utilisation des preuves dans le domaine des intérêts financiers de l’Union européenne, RCS 1999, n°3, 473 – 496.

  6. CJUE, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, aff. C-419/14, ECLI:EU:C:2015:832.

  7. Ibidem, point 23.

  8. Pour un aperçu des instruments de coopération en matière de fiscalité indirecte, voy. M. Marty, La répression pénale transfrontière de la fraude à la TVA dans l’Union européenne, in C. Herbain (dir.), La fraude à la TVA, Promoculture, à paraître.

  9. CJUE, WebMindLicenses, op. cit. (n. 6), point 65.

  10. CJUE, arrêt du 15 novembre 2011, Commission c. Allemagne, aff. C-539/09, ECLI:EU:C:2011:733, point 72.

  11. CJUE, arrêt du 6 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10, ECLI:EU:C:2013:105, points 25 à 27.

  12. Art. 250 et 273 de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, J.O. L 347 du 11.12.2006, p. 1.

  13. CJUE, WebMindLicenses, op. cit. (n. 6),, point 67.

  14. CJUE, arrêt du 8 septembre 2015, Taricco, aff. C-105/14, ECLI:EU:C:2015:555.

  15. Opinion de l’avocat général Wathelet, WebMindLicenses, aff. C-419/14, ECLI:EU:C:2015:606, points 102 ss.

  16. CJUE, WebMindLicenses, op. cit. (n. 6),, point 91.

  17. Ibidem, points 71 – 72.

  18. CJUE, WebMindLicenses, op. cit. (n. 6), point 75.

  19. Ibidem, point 76.

  20. Ibidem, point 77.

  21. Ibidem, points 79 ss.

  22. Ibidem, point 81.

  23. Ibidem, point 82.

  24. Ibidem, point 83.

  25. Sur le champ d’application de l’article 6 de la CEDH au contentieux de nature fiscale, F.Kuty, Justice pénale et procès équitable, Bruxelles2006, Vol. I, p. 31 ss.

  26. CJUE, WebMindLicenses, op. cit. (n. 6), point 84.

  27. Ibidem, points 84 – 85.

  28. Ibidem, point 79. Il importe cependant de souligner d’une position différente est adoptée par l’Avocat général au point 112 de ses conclusions (op. cit. n. 15).

  29. Ibidem, point 87.

  30. Ibidem, point 88.

  31. Une solution identique est retenue en matière de concurrence, aides d’Etat ou encore de marques. Voy. à titre d’exemple TPI, arrêt du 14 décembre 2005, General Electric Company c. Commission, aff. T-210/01, ECLI:EU:T:2005:456, point 632.

  32. CJUE, WebMindLicenses, aff. C-419/14, point 89.

  33. K. Ligeti, M. Simonato, op. cit. (n. 4), p. 83.

  34. CourEDH, arrêt du 17 décembre 1996, Saunders c. Royaume-Uni, n° 19187/91, Rec. 1996-VI.