Le futur rôle des Cellules de Renseignement Financier

Abstract

In June 2024, the EU Anti-Money Laundering/Combating the Financing of Terrorism (AML/CFT) package came into effect. This package comprises one Directive and two Regulations that aim to harmonise and further strengthen the prevention of and fight against money laundering and terrorist financing in the European Union. This article describes the legislative choices and directions from the perspective of the Belgian Financial Intelligence Unit (FIU). The authors discuss how the new measures will impact the reporting of suspicious activities and transactions, enhance the analytical capacities of FIUs and facilitate the exchange of information with other competent authorities.
While not claiming to be exhaustive, the article highlights aspects that directly affect the day-to-day operations of the Belgian FIU. It pays particular attention to the organisation and independence of the FIU, cash transactions, direct access to financial and administrative databases, and the ability to suspend financial transactions and accounts.
As the establishment of a new Anti-Money Laundering Authority (AMLA) in Frankfurt am Main is considered to be the most important innovative aspect of the EU AML/CFT Package, the article also considers the role of this new body and its potential impact on the future work of FIUs.
In conclusion, the authors believe that the new AML/CFT Directive and Regulations strike a balance between providing FIUs with effective tools to combat the criminal economy and protecting the rights/concerns of individuals and companies. Through flexibility, coordination, and commitment, the EU AML/CFT package will enable FIUs to play a positive role in combatting money laundering and the financing of terrorism in the years to come.

I. Introduction

Le 19 juin 2024, trois actes législatifs composant le nouveau paquet européen de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), en anglais « the EU AML/CTF Package » ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne. Ce nouveau paquet législatif, visant à renforcer le cadre de l’Union en la matière et à combler les failles favorables aux fraudeurs, comprend :

  • un règlement contenant l’ensemble des obligations pour les entités assujetties en vue d’obtenir une application uniforme des règles1 ;

  • une sixième directive LBC/FT destinée à améliorer les systèmes nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme2 ;

  • et un règlement mettant en place une nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC)3, qui sera basée à Francfort-sur-le-Main et débutera ses activités à la mi-2025.

Depuis le début des années 1990, les institutions européennes se sont montrées novatrices et impliquées dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et l’adoption de ces trois instruments est une nouvelle étape marquante. Ce nouveau corpus législatif présente des évolutions, voire même des révolutions dans certains domaines, qui méritent notre attention. Ayant fait partie de la délégation belge responsable des négociations en ce qui concerne les aspects « Cellule de Renseignement Financier » (CRF) menant à l’adoption des instruments légaux précités4, nous tenons à parcourir avec vous ce nouveau paquet législatif du point de vue « CRF ». Notre but n’est pas d’être exhaustifs mais de mettre en lumière les aspects principaux qui touchent les CRF et influenceront la lutte anti-blanchiment et anti-financement du terrorisme dans les années à venir.

L’ensemble des actes législatifs adoptés devrait permettre d’atténuer les risques et de détecter efficacement les tentatives d'utilisation abusive du système financier de l'Union à des fins criminelles. Pour les CRF, ce cadre robuste signifie notamment : un accès plus rapide et étendu aux informations, la mise en avant de leur autonomie, de la sécurité et de la confidentialité dans l’exécution de leurs tâches, davantage d’échanges d’informations avec les autres autorités compétentes et de coopération internationale avec leurs homologues européens ainsi qu’un meilleur suivi des déclarations de soupçons.

L’expérience passée basée sur la mise en œuvre de la directive (UE) 2015/8495 a mis en avant des divergences au niveau des pratiques et des approches des autorités compétentes au sein de l'Union européenne. En ce qui concerne les CRF, des rapports ont été publiés6 indiquant des manquements au niveau de l’efficacité des dispositifs de coopération transfrontière afin de faire face aux nouvelles menaces de blanchiment et de financement du terrorisme. Ces dernières années, nous avons en effet assisté à une internationalisation croissante des flux financiers mais également à l’émergence et au recours à de nouvelles technologies telles que les cryptomonnaies. Sans oublier l’influence de la pandémie, qui a boosté le recours à Internet pour les achats et ventes et par conséquent le recours à de nouveaux prestataires actifs internationalement.

Disposer de structures efficaces permettant une coopération accrue des autorités compétentes sur le plan international, et notamment des CRF, est une condition sine qua non pour faire face aux risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Cela ne signifie pas qu’une approche globale « one size fits all » soit le meilleur choix, il fallait également tenir compte des spécificités des systèmes nationaux notamment en termes de risques et de typologies de blanchiment. Le choix et la combinaison des instruments légaux sous forme de règlements et de directives devrait garantir ce juste équilibre.

Enfin, la plus grande nouveauté du nouveau paquet LBC/FT est sans doute la création de l’ALBC, une autorité chargée de contribuer à la mise en œuvre de règles harmonisées au niveau de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le but est de renforcer le cadre préventif en matière de LBC/FT et, plus spécifiquement pour les CRF, de renforcer les capacités d’analyse commune des déclarations de soupçons et la coopération mutuelle. L’autre pilier clé de l’ALBC est de garantir une surveillance adéquate des entités assujetties présentant des risques élevés en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et de promouvoir des approches communes pour la surveillance de toutes les autres entités assujetties. Les aspects de supervision européenne, impliquant la possibilité pour l’ALBC de coordonner et de contrôler des superviseurs LBC/FT du secteur financier et du secteur non-financier, y compris les organismes d’autorégulation, ainsi que de superviser directement de grands groupes financiers présents sur le marché européen, ne font pas l’objet de cet article, mais impliquent eux aussi des changements de taille. Nous ne saurions donc que trop vous conseiller de vous renseigner davantage sur ces sujets.

II. Organisation des Cellules de Renseignement Financier

Dans la vie quotidienne, nous (les auteurs de cet article) travaillons pour la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), qui est la CRF belge. La CTIF est une autorité administrative autonome et indépendante dotée de personnalité juridique, qui correspond à la définition d’une CRF telle qu’édictée par le Groupe d’Action financière (GAFI), le Groupe Egmont des CRF et l’UE : la CRF doit être opérationnellement indépendante et autonome, chargée de recueillir et d'analyser des informations, de façon à faire le lien entre les transactions et activités suspectes et les activités criminelles sous-jacentes en vue de prévenir et de combattre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les termes « opérationnellement indépendante et autonome sur le plan opérationnel » signifient que chaque CRF doit être en mesure de choisir sur quelles déclarations elle travaille et quels dossiers elle disséminera à d’autres autorités compétentes, mais aussi que chaque CRF dispose de moyens (financiers, humains…) suffisants afin de pouvoir accomplir ses tâches.

La directive (UE) 2024/1640 précise que la CRF est la cellule nationale centrale unique chargée de recevoir et d’analyser les informations qui lui sont transmises et de les disséminer à qui de droit. Il est important de souligner que malgré quelques discussions pendant les négociations du nouveau paquet LBC/FT, il n’a pas été décidé de considérer l’ALBC comme une sorte de CRF européenne chargée de recevoir les déclarations de soupçons pour ensuite les distribuer à ses acolytes CRF nationales. Ce sont les CRF nationales qui restent en charge de l’analyse des informations qui leur sont transmises en vertu de la législation LBC/FT. Il s’agit d’un choix fondamental qui explique certaines décisions (techniques notamment) au niveau des possibilités d’analyse commune et du rôle que jouera l’ALBC dans ce cadre ainsi qu’au niveau de l’architecture du système sécurisé d’échange d’informations entre CRF, le système FIU.net.

Concrètement, au sein de l’Union européenne, il existe plusieurs types de CRF : on recense des CRF administratives, policières, judiciaires ou hybrides, mais chacune a sa propre indépendance et se compose d’un organe décisionnel, d’analystes (opérationnels, stratégiques, data) et de collaborateurs administratifs, auxquels s’ajoutent des profils juridiques et IT. Le lien avec les autres autorités compétentes comme la police, les douanes ou les services de renseignement est souvent garanti par des officiers de liaison, qui peuvent être déployés au sein de la CRF ou dehors.

La directive (UE) 2024/1640 prévoit par ailleurs des exigences concernant le personnel des CRF. Les États membres devront notamment veiller à ce que ce personnel respecte des exigences professionnelles élevées en matière de confidentialité et de protection des données, et qu'il soit de la plus haute intégrité et possède les compétences nécessaires en matière de traitement responsable des ensembles de mégadonnées. Les États membres devront aussi veiller à ce que les CRF disposent de procédures pour prévenir les conflits d’intérêts.

La création de l’ALBC va notamment avoir un impact sur l’organisation des CRF dans la mesure où chaque CRF devra déléguer à l’ALBC un membre de son personnel en vue de faciliter et d’améliorer la coopération entre les CRF et l’ALBC et la réalisation d’analyses communes. Ce délégué aidera l’ALBC dans toutes les missions liées aux CRF. On pense non seulement aux analyses communes, mais aussi à la préparation des évaluations des menaces et des analyses stratégiques des menaces, risques et méthodes de blanchiment ou financement du terrorisme. Le délégué restera sous l’autorité de la CRF qui le délègue afin de préserver son indépendance et son autonomie sur le plan opérationnel. Tout comme le personnel de la CRF en général, il n’acceptera pas d’instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements ou d’autres organismes publics ou privés.

En ce qui concerne la structure de l’ALBC, le législateur européen a voulu mettre en place dès le départ une structure de gouvernance solide. Vu la complexité et la diversité des missions confiées à cette nouvelle autorité européenne, tant dans le domaine de la surveillance que dans celui de la coordination et du soutien des CRF, il a été convenu que les décisions ne pourraient pas être prises par un seul organe directeur. C’est pourquoi les décisions ayant trait à l’adoption d’instruments communs (telles que les normes techniques de règlementation ou d’exécution, les orientations, les recommandations…) devront être prises par le conseil général composé de représentants des autorités de surveillance ou des CRF, tandis que d’autres décisions, relatives par exemple à une entité assujettie sélectionnée ou à une autorité particulière, nécessitent un organe décisionnel plus restreint, le conseil exécutif.

En fonction de la matière traitée et afin de disposer de l’expertise nécessaire, le conseil général se réunira dans sa composition « CRF » ou dans sa composition « surveillance ». Les CRF nationales seront représentées au sein du conseil général dans sa composition « CRF » par les dirigeants des CRF (Heads of FIU) ou par un suppléant à haut niveau qui pourra remplacer le dirigeant de la CRF en cas d’empêchement de celui-ci.

Le conseil exécutif sera quant à lui composé du président de l’ALBC et de cinq membres à temps plein, dont le vice-président, nommés par le Parlement européen et le Conseil sur proposition du conseil général à partir de la liste restreinte de candidats qualifiés établie par la Commission.

III. Entités assujetties, mesures de vigilance et déclaration de soupçons

Le cœur du travail de chaque CRF se situe dans l’analyse des déclarations de soupçons transmises par les entités assujetties au dispositif LBC/FT. Avant de s’attarder sur la déclaration en elle-même, parcourons brièvement plusieurs points sur lesquels le nouveau paquet législatif apporte des modifications et qui risquent d’avoir un impact sur l’activité déclarative.

1. Les nouvelles catégories d’entités assujetties

Les nouvelles technologies sont en constante évolution, offrant au secteur privé des occasions d'élaborer de nouveaux produits faisant évoluer le système financier. Loin d’être réfractaire aux innovations et au progrès, il faut néanmoins veiller à que ces développements ne créent de nouvelles failles en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, tant nous savons les criminels prompts à trouver les moyens d'exploiter les vulnérabilités du système pour dissimuler leurs fonds illicites7. Partant de ce constat, le règlement (UE) 2024/1624 introduit de nouvelles catégories d’entités assujetties telles que les prestataires de services sur crypto-actifs, les prestataires de services de financement participatif et les intermédiaires en financement participatif ou les clubs de football professionnel et les agents de footballeurs (qui sont d’ailleurs déjà soumis à la législation préventive en Belgique).

Par ailleurs, l’utilisation d’argent cash reste un risque majeur de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme8. Les divergences au niveau des régimes applicables dans les pays de l’UE ont pour conséquence que des groupes criminels peuvent encore trop facilement déplacer le profit de leurs activités criminelles entre nos pays sans passer par le circuit financier et donc sans aucun contrôle. Afin d'atténuer ces risques à l'échelle de l'Union, une limite est prévue pour les paiements en argent liquide d'un montant élevé, à savoir ceux de plus de 10 000 EUR9. Les États membres pourront néanmoins toujours choisir d’opter pour des seuils inférieurs.

En ce qui concerne l’utilisation du cash, il est également prévu dans le règlement (UE) 2024/1624 que les paiements en argent liquide et les dépôts effectués dans les locaux des établissements de crédit, d’émetteurs de monnaie électronique et de prestataires de services de paiement qui dépassent le seuil applicable au paiement en argent liquide d’un montant élevé soient déclarés à la CRF10. Ces paiements ou dépôts au-delà de la limite ne devraient néanmoins pas être considérés par défaut comme un indicateur ou un soupçon de blanchiment de capitaux, d’infractions sous-jacentes associées ou de financement du terrorisme mais la déclaration de ces transactions permet à la CRF d’évaluer et de recenser les schémas concernant les mouvements de trésorerie11.

Compte tenu de ces différentes mesures, le législateur européen a choisi de ne pas soumettre les personnes négociant des biens en général aux obligations en matière de LBC/FT. Des exceptions sont néanmoins de mise pour les personnes négociant des métaux précieux, des pierres précieuses, d'autres biens de grande valeur et des biens culturels vu l’attrait continu et non négligeable que suscitent ces biens auprès des blanchisseurs.

Dans le paquet législatif, le législateur européen a donc conclu que les véhicules à moteur, les bateaux et les aéronefs des segments les plus élevés du marché sont vulnérables aux risques d'utilisation abusive à des fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Ces produits ont en effet une valeur conséquente et sont facilement transportables, deux éléments clefs recherchés par les blanchisseurs. Les personnes négociant ces biens seront donc soumises aux exigences en matière de LBC/FT12. Afin d'atténuer les risques susmentionnés et de garantir la visibilité de la propriété de ces biens, les personnes négociant des biens de grande valeur vont devoir déclarer aux CRF les transactions concernant la vente de véhicules à moteur, de bateaux et d'aéronefs lorsqu’elles atteignent un certain seuil et que ces biens sont acquis à des fins non commerciales13. Ceci vaut aussi pour les établissements financiers qui fournissent des services essentiels à la conclusion de la vente de ces biens. Ces déclarations fondées sur des seuils devront être considérées comme une communication d’information aux CRF, pas comme une déclaration de soupçons et suivront donc un autre régime au sein de la CRF. En l’état actuel des réflexions, il est prévu d’utiliser ces informations au sein de la CTIF comme une source consultable, avec laquelle chaque autre déclaration entrante pourra être comparée et qui permettra d’alimenter d’autres informations reçues.

2. La vigilance à l’égard de la clientèle

Les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle que l’on retrouve dans le règlement (UE) 2024/162414 sont essentielles afin que les entités assujetties identifient, vérifient et contrôlent leurs relations d’affaires avec leurs clients, par rapport aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme qu’elles posent.

Une attention particulière est par ailleurs portée aux bénéficiaires effectifs, que ce soit ici dans le cadre des obligations de vigilance ou, comme nous le verrons plus tard, dans le cadre de la mise en place des registres de bénéficiaires effectifs.

En ce qui concerne la surveillance continue de la relation d’affaire et des transactions effectuées par le client, le législateur européen rappelle que les entités assujetties devraient réexaminer régulièrement les informations obtenues auprès de leurs clients, conformément à l’approche fondée sur les risques et ce, afin de conserver une compréhension globale du profil de risque du client et de procéder à un examen approfondi des transactions.

Comme cela était déjà le cas auparavant, les entités assujetties doivent également mettre en place un système de surveillance permettant de détecter les transactions qui peuvent éveiller des soupçons de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Pour veiller à l'efficacité de la surveillance des transactions, les activités de vigilance des entités assujetties devraient en principe couvrir tous les services et produits proposés aux clients et toutes les transactions effectuées pour le compte du client ou proposées au client par l'entité assujettie. Cependant, toutes les transactions ne nécessitent pas d'être examinées séparément. L'intensité de la surveillance devrait suivre l'approche fondée sur les risques et reposer sur des critères précis et pertinents, tenant compte notamment des caractéristiques du client et du niveau de risque qui leur est associé, des produits et services proposés ainsi que des pays ou des zones géographiques concernées. Notons que l’ALBC sera chargée d’élaborer des orientations pour veiller à ce que l’intensité de la surveillance des relations d’affaires et des transactions soit adaptée et proportionnée au niveau de risque et ce, pour le 10 juillet 2026 au plus tard.

Le législateur européen a par ailleurs prévu que des mesures de vigilance renforcée devaient s’appliquer dans des cas engendrant un risque plus élevé afin de gérer et d’atténuer le risque de manière adéquate. Nous citons à titre exemplatif les relations transfrontières de correspondant ou les relations nouées avec des personnes exerçant ou ayant exercé des fonctions publiques importantes. La fourniture de services de gestion d'actifs personnalisés à des personnes présentant un patrimoine élevé pourrait également exposer à des risques spécifiques, ce qui explique que le législateur européen ait prévu un ensemble de mesures de vigilance renforcées qui devraient être appliquées au minimum, lorsque ces relations d’affaires sont réputées présenter un risque élevé de blanchiment de capitaux, d’infractions sous-jacentes ou de financement du terrorisme. Des négociations difficiles ont fini par conclure qu’un patrimoine élevé est défini comme la détention des actifs d’une valeur d’au moins 50 000 000 EUR, ou l’équivalent en monnaie nationale ou étrangère.

3. La déclaration de soupçons

Les entités assujetties n’ont pas seulement l’obligation d’être vigilantes à l’égard de leurs clients et des transactions effectuées, elles doivent également transmettre une déclaration de soupçons à la CRF nationale si des fonds ou activités suspectes se présentent. Tout comme les obligations de vigilance, le volet concernant la déclaration de soupçon est désormais repris dans le règlement (UE) 2024/162415.

Les entités assujetties devront ainsi signaler à la CRF les transactions suspectes, mais également les tentatives de transactions suspectes et les autres informations utiles pour lutter contre le blanchiment de capitaux, les infractions sous-jacentes associées et le financement du terrorisme. Ces transactions ou tentatives de transactions suspectes devront être déclarées quel qu'en soit le montant, et les références à des soupçons devraient être interprétées comme englobant les transactions, activités, comportements et schémas de transaction suspects16. Les déclarations pourraient aussi comprendre des informations fondées sur des seuils17.

Comme nous l’avons vu plus haut, la CRF fera ainsi office de cellule nationale centrale unique pour la réception et l’analyse des soupçons signalés et la dissémination des résultats de ses analyses aux autorités compétentes18.

Afin d'aider les entités assujetties à détecter des soupçons, l'ALBC sera chargée d’émettre des orientations sur les indicateurs d'activité ou de comportement suspect pour le 10 juillet 2027 au plus tard19. Compte tenu de l'évolution de l'environnement des risques, ces orientations devraient être réexaminées régulièrement et ne devraient pas préjuger de la publication par les CRF d'orientations ou d'indicateurs sur les risques et méthodes recensés au niveau national en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

Parallèlement à ce qui était prévu dans les directives LBC/FT précédentes, la communication d'informations de bonne foi à la CRF par une entité assujettie, par un membre du personnel ou par un dirigeant d'une telle entité ne constituera pas une violation d'une quelconque restriction à la divulgation d'informations et ne devrait entraîner pour l'entité assujettie, ses dirigeants ou son personnel aucune responsabilité d'aucune sorte20.

Novateur en revanche est l’ajout selon lequel les entités assujetties devraient pouvoir transmettre une déclaration lorsqu'elles savent ou soupçonnent que des fonds ont été ou seront utilisés pour mener des activités criminelles, telles que l'achat de biens illicites, même si les informations dont elles disposent n'indiquent pas que les fonds utilisés proviennent de sources illicites21.

Afin de faciliter la coopération entre les CRF, déjà qualifiée de rapide et efficace, l'ALBC devra élaborer des projets de normes techniques d'exécution précisant un modèle commun pour la déclaration de transactions suspectes et pour la fourniture aux CRF, par les établissements de crédit et les établissements financiers, de relevés de transactions, à utiliser comme une base uniforme dans l'ensemble de l'Union22. Ceci facilitera l’échange ultérieur de ces documents entre les CRF.

En ce qui concerne le moment auquel les entités assujetties doivent procéder à une déclaration de soupçons, le principe reste toujours d’effectuer la déclaration de soupçons avant d’effectuer la transaction. Le paquet législatif européen prévoit que les entités assujetties pourront exécuter la transaction concernée après avoir évalué les risques que présente l’exécution de la transaction si elles n’ont pas reçu d’instructions contraires de la CRF dans un délai de trois jours ouvrables à compter de la présentation de la déclaration. Nous soulignons qu’il leur sera toujours exceptionnellement possible d’exécuter une transaction suspecte avant d'en informer la CRF, lorsqu'il n’est pas possible de s'abstenir d'exécuter cette transaction ou lorsque cette abstention est susceptible d'entraver les efforts déployés pour poursuivre les bénéficiaires d'une telle transaction. Cependant, cette exception ne devrait pas être invoquée en lien avec des transactions concernées par les obligations internationales acceptées par l’État membre de la CRF visant à geler immédiatement les fonds ou autres avoirs des terroristes, des organisations terroristes ou des organisations qui financent le terrorisme, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité23.

IV. Analyse

Si l’on veut renforcer la lutte préventive contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, il ne suffit pas d’harmoniser les règles de vigilance applicables par les entités assujetties ou d’augmenter le nombre de déclarations de soupçons transmises aux CRF. Augmenter purement et simplement le stock de déclarations auprès des différentes CRF ne devrait jamais être un but en soi, ayant notamment égard aux principes de protection de la vie privée et de « need to know » qui conditionne l’accès aux informations. Les déclarations sont effectuées suite à l’émergence de soupçons de blanchiment ou de financement du terrorisme, que ce soit sur base d’une appréciation subjective des entités assujetties ou par application de règles objectives définies par les législateurs nationaux ou internationaux (en ce qui concerne les déclarations cash par exemple).

De l’expérience de la CTIF, la tendance actuelle montre que de plus en plus d’entités assujetties, en ce compris dans les systèmes subjectifs, commencent à recourir à l’intelligence artificielle en vue d’exécuter leur obligation de déclaration de soupçons. Tant les autorités de contrôle nationales que l’ALBC seront donc confrontées à cette évolution dans les années à venir et il conviendra de trouver un juste équilibre entre le recours à ces logiciels intelligents pour l’exécution des tâches et obligations de LBC/FT, la garantie de la qualité du contenu des déclarations de soupçons et le respect des règles de protection de la vie privée.

Au-delà du fait de veiller à la qualité des déclarations initiales, il convient de donner aux CRF la possibilité d’enrichir les informations reçues initialement avec des autres informations pertinentes provenant d’autorités compétentes ou de partenaires privés. Parcourons dès lors plusieurs mesures du nouveau paquet législatif LBC/FT que nous considérons comme des progrès pour les CRF en termes de capacité d’analyse. En dotant les CRF européennes de capacités de recherche et de transmission étendues, l'UE se présente une fois de plus comme un précurseur dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

1. Les registres centraux des bénéficiaires effectifs

Attardons-nous tout d’abord sur les registres centraux d’informations sur les bénéficiaires effectifs, considérés comme essentiels pour lutter contre le détournement d'entités juridiques et de constructions juridiques à des fins de blanchiment ou de financement du terrorisme. Afin de garantir que ces registres centraux soient facilement accessibles et contiennent des données de qualité, la directive (UE) 2024/164024 instaure des règles cohérentes concernant la collecte et le stockage par les registres de ces informations. Il importe également que les États membres confient aux entités chargées des registres centraux des pouvoirs et ressources suffisants pour effectuer des vérifications concernant les bénéficiaires effectifs et s'assurer de la véracité des informations qui leur sont fournies, et pour signaler tout soupçon à leur CRF. 

Aux fins de prévention et de détection du blanchiment de capitaux, de ses infractions sous-jacentes ou du financement du terrorisme, ainsi que des enquêtes et des poursuites en la matière, le législateur européen a prévu que les CRF, les autres autorités compétentes et les organismes d'autorégulation aient un accès immédiat, sans filtre, direct et libre aux informations sur les bénéficiaires effectifs. 

Nous estimons que ces nouvelles mesures vont permettre d'accroître et d'unifier davantage la transparence des entreprises de l'UE, de sorte qu'il sera de plus en plus difficile pour les criminels de se cacher derrière des entreprises et des structures juridiques européennes.

2. Informations sur les comptes bancaires

En vue de détecter des transferts de fonds liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme, la directive (UE) 2024/164025 prévoit que les CRF et d’autres autorités compétentes aient rapidement accès aux informations sur l’identité des titulaires de comptes bancaires et de comptes de paiement (y compris d’IBAN virtuels), de comptes de titres, de comptes de crypto-actifs ainsi que de coffres-forts. Pour ce faire, la mise en place de mécanismes centralisés automatisés tels qu'un registre ou un système de recherche de données dans tous les États membres est dès lors primordiale.

A noter qu’afin de protéger les analyses en cours, une confidentialité complète devrait être assurée en ce qui concerne les enquêtes et demandes d'informations y afférentes émanant des CRF, de l'ALBC dans le cadre d’analyses communes et des autorités de surveillance.

Une interconnexion des mécanismes automatisés centralisés des États membres est par ailleurs prévue, pour permettre aux CRF nationales d'obtenir rapidement des informations transfrontières sur l'identité des titulaires de comptes dans d'autres États membres et renforcer leur capacité à effectuer efficacement des analyses financières et à coopérer avec leurs homologues d'autres États membres. La directive (UE) 2024/1640 prévoit que le système d’interconnexion des registres des comptes bancaire soit mis au point et géré par la Commission. Cette dernière devra assurer cette interconnexion en coopération avec les États membres, au plus tard le 10 juillet 2029.

Il est essentiel pour les CRF de pouvoir détecter rapidement les fonds illicites et les flux criminels pour pouvoir récupérer ultérieurement l'argent blanchi. Pour la CTIF-CFI, ce registre bancaire est devenu un mécanisme de recherche bien ancré au quotidien. L'interconnexion des mécanismes renforcera davantage la capacité d'analyse, mais les CRF devront néanmoins encore adapter leurs méthodes de travail afin de veiller à informer correctement la CRF du pays où le compte recherché est détenu.

3. Point d’accès unique aux informations concernant les biens immobiliers

Dans un même objectif de bon déroulement des analyses et des enquêtes sur des affaires criminelles potentielles, le législateur européen a par ailleurs prévu dans la directive (UE) 2024/1640 un accès immédiat et direct des CRF et autres autorités compétentes aux informations permettant l’identification de tout bien immobilier et des personnes physiques ou entités propriétaires de ce bien, ainsi qu’aux informations permettant l’identification et l’analyse des transactions immobilières. Pour faciliter un accès effectif à ces informations, elles devront être fournies gratuitement par l'intermédiaire d'un point d'accès unique, par des moyens numériques et, si possible, dans un format lisible par machine. 

4. L’accès des CRF aux différentes informations

De manière plus générale, les pouvoirs des CRF incluent le droit d'accéder directement ou indirectement aux informations « financières », « administratives » et « en matière répressive » dont elles ont besoin pour combattre le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes et le financement du terrorisme. La directive (UE) 2024/164026 prévoit un accès immédiat et direct aux informations « financières » et « administratives » et un accès direct ou indirect aux informations « d’ordre répressif ».

L’accès sera réputé être un accès direct et immédiat lorsque les informations sont contenues dans une base de données, un registre ou un système électronique de recherche de données permettant à la CRF de les obtenir directement, au moyen d’un mécanisme automatisé, sans l’intervention d’un intermédiaire. Lorsque ces informations sont détenues par une autre autorité ou entité, l’accès direct suppose que les informations soient fournies à la CRF dans les plus brefs délais et sans qu’elles n’aient été filtrées par l’entité fournissant la réponse.

En ce qui concerne les informations d’ordre répressif, les États membres devront veiller à ce que la CRF se voie accorder, dans la mesure du possible, un accès direct. Si la CRF obtient un accès indirect aux informations, l’entité ou l’autorité détenant les informations devra les fournir en temps utile. Les États membres pourront autoriser la restriction de l’accès aux informations en matière répressive, au cas par cas, lorsque la transmission de ces informations est susceptible de compromettre une enquête en cours.

Jusqu’à présent, les types d’informations contenues dans les trois catégories n’étaient pas définis, ce qui impliquait une diversité au niveau des informations auxquelles les CRF de l’Union avaient accès et impactait leur capacité de coopération avec leurs homologues. Le législateur européen a donc désormais défini les ensembles minimaux d'informations « financières », « administratives » et « en matière répressive » qui devraient être mises directement ou indirectement à la disposition de chaque CRF dans l'ensemble de l'Union.

Sans entrer dans le détail de l’ensemble des informations listées, nous noterons que les informations « financières » renvoient notamment aux informations contenues dans les registres centraux sur les comptes bancaires ainsi que les informations des entités assujetties. Les informations « administratives » comprennent quant à elles les données fiscales, les informations sur les procédures de passation de marchés publics, les données douanières, les informations figurant dans les registres nationaux de citoyenneté et de population, de sécurité sociale, des armes, des bénéficiaires effectifs ou encore dans les bases de données commerciales ou sur les voyages transfrontières. Les informations « d’ordre répressif » incluent des casiers judiciaires, des informations sur des enquêtes, des informations sur le gel ou la saisie d’avoirs ou d’autres mesures d’enquête ou mesures conservatoires, et des informations sur des condamnations et des confiscations.

5. Suspension ou refus d’exécution d’une transaction et suspension de l’utilisation d’un compte ou d’une relation d’affaire

Pour des raisons d’urgence et afin d’éviter que l’argent illicite ne s’échappe et que le criminel en tire profit, les CRF doivent aussi avoir la capacité de bloquer des transactions et des fonds. Une grande majorité des CRF est d’ores et déjà habilitée à prendre ce type de mesures urgentes en vue de réaliser des analyses, de confirmer les soupçons et de disséminer les résultats des activités d’analyse aux autorités compétentes. La durée des pouvoirs en matière de suspension varie toutefois d’un État membre à l’autre, ce qui a une incidence non seulement sur le report d’activités présentant un caractère transfrontière dans le cadre de la coopération entre CRF, mais aussi sur les droits fondamentaux des particuliers.

Tenant compte de l’incidence d’une suspension sur le droit de propriété, les CRF devraient pouvoir suspendre des transactions, des comptes ou des relations d'affaires pendant une période limitée afin de préserver les fonds, de procéder aux analyses nécessaires et de diffuser les résultats des analyses auprès des autorités compétentes en vue de l'adoption éventuelle de mesures appropriées. Il reviendra aux États membres de déterminer la durée de la suspension applicable au niveau national. La directive (UE) 2024/164027 précise néanmoins que la suspension ou le refus d’exécution d’une transaction imposé par une CRF ne pourra pas dépasser dix jours ouvrables. Compte tenu de son incidence plus grande sur les droits fondamentaux de la personne concernée, la suspension d'un compte ou d'une relation d'affaires devrait être imposée pour une période plus limitée, qui ne dépassera quant à elle pas cinq jours ouvrables.

Il sera possible pour les États membres de définir une période de suspension plus longue lorsque, conformément au droit national, la CRF exerce des compétences dans le domaine du recouvrement des avoirs ainsi que des fonctions de dépistage, de saisie, de gel ou de confiscation des avoirs d'origine criminelle. Lorsqu'une période de suspension plus longue est définie, les personnes concernées dont les transactions, comptes ou relations d'affaires ont été suspendus devraient par ailleurs avoir la possibilité de contester l'ordonnance de suspension devant une juridiction.

Nous estimons qu’à l'avenir, les CRF mettront encore plus l'accent sur la possibilité de récupérer les fonds illégaux, ce qui fait de cet article l'un des plus importants du nouveau paquet. Nous pensons que le législateur est parvenu à trouver un juste équilibre entre l'octroi de moyens suffisants aux CRF pour lutter efficacement contre la criminalité et le droit pour toute personne de disposer de ses fonds et d'être informé de manière adéquate.

6. Suivi des transactions ou des activités (monitoring) et signalements après des entités assujetties

Un suivi plus étroit d’un compte ou d’une relation d’affaires peut fournir à la CRF des informations supplémentaires sur les types de transactions effectués par le titulaire du compte et conduire à la détection rapide de transactions ou activités inhabituelles ou suspectes susceptibles de justifier une nouvelle action de la CRF, y compris la suspension telle que décrite ci-dessus, l’analyse des éléments de renseignement recueillis et leur diffusion auprès des autorités chargées des enquêtes et des poursuites.

La directive (UE) 2024/1640 prévoit dès lors que les CRF soient habilitées à donner instruction aux entités assujetties de suivre, pendant une période déterminée, les transactions ou activités effectuées via un compte ou d’autres relations d’affaires gérées par l’entité assujettie. Les CRF pourront également donner instruction à l’entité assujettie de communiquer les résultats de ce suivi.

En vue d’aider les entités assujetties à étayer leurs procédures de vigilance à l’égard de la clientèle et à garantir leur cohérence avec les risques, à mettre à jour leurs systèmes d’évaluation et de gestion des risques en conséquence et à leur fournir des informations supplémentaires susceptibles d’appeler une vigilance accrue à l’égard de certains clients, la directive (UE) 2024/1640 prévoit que les États membres veillent à ce que les CRF soient en mesure de signaler aux entités assujetties des informations pertinentes pour l’exécution des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle. Ces signalements pourront porter sur des types de transactions ou activités, des personnes spécifiques ou encore des zones géographiques présentant des risques plus élevés. La durée d’une telle mesure devra être définie en droit national mais ne pourra pas dépasser six mois.

7. Analyses communes

Vu le caractère transnational du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ainsi que la fréquence et l’importance des affaires transfrontières, il était également important pour le législateur européen de se pencher sur les possibilités d’amélioration de la coopération internationale entre les CRF. Afin de pouvoir aller au-delà du simple échange entre CRF, il est désormais prévu que les CRF puissent mener conjointement à bien l’activité d’analyse proprement dite et mettre en place et rejoindre des équipes communes d’analyse à des fins spécifiques et pour une durée limitée, avec l’aide de l’ALBC. Les dispositions concernant les analyses communes et le rôle de soutien que sera amenée à jouer l’ALBC dans ce cadre sont reprises tant dans la directive (UE) 2024/164028 que dans le règlement (UE) 2024/162029. Ces mesures devraient renforcer la coopération entre les CRF et leurs connaissances mutuelles. Une vision européenne des CRF permettra d'obtenir des résultats plus transnationaux, mais exigera en même temps des ajustements dans la manière d'aborder les déclarations par chaque CRF et aura un impact sur l’allocation des ressources et la détermination des priorités.

Il est prévu que l’ALBC puisse utiliser le système FIU.net afin de pouvoir recouper des informations et apporter aux CRF un soutien opérationnel dans le cadre de l'analyse commune des affaires transfrontières. FIU.net est le système décentralisé de communication et d’échange d’informations sécurisé mis en place au niveau européen pour l’échange d’informations entre les CRF des États membres. Il sera dorénavant géré et hébergé par l’ALBC, qui en assurera la maintenance et le tiendra à jour en fonction des besoins exprimés par les CRF.

Bien que la réception des déclarations de soupçons reste une matière nationale et que les CRF continuent à être le seul destinataire et propriétaire des informations reçues des entités assujetties, le législateur européen a voulu souligner l’importance de la coopération entre les CRF et des analyses communes en donnant à l’ALBC l’opportunité de lancer des analyses communes des transactions ou activités transfrontières suspectes. Les CRF restent toutefois maîtres et gardent leur indépendance, mais devraient tout mettre en œuvre pour accepter l’invitation de l’ALBC à participer à une analyse commune. Il est prévu qu’avec le consentement exprès des CRF y participant, le personnel de l’ALBC qui facilite la réalisation de l’analyse commune devrait pouvoir accéder à toutes les données et informations nécessaires, y compris celles relatives à l’objet du dossier. Les cas imaginés dans lesquels l’ALBC demandera le lancement d’une analyse commune sont notamment des informations exposées par des lanceurs d’alerte ou des journalistes d’investigation.

L’ALBC donnera également son soutien en élaborant des projets de normes techniques d'exécution et de réglementation ainsi qu’en publiant des orientations à l’attention des CRF. Certains sujets sur lesquels l’ALBC devra se positionner ont déjà été pré-choisis par le législateur européen dans les différents textes adoptés. On mentionnera notamment le format à utiliser pour l'échange d'informations entre CRF et celui à utiliser pour la transmission des déclarations de transactions suspectes par les entités assujetties, tout comme les critères de pertinence et de sélection à prendre en considération afin de déterminer si une déclaration de transaction suspecte concerne un autre État membre et doit donc lui être transmise par la CRF qui l’a initialement reçue.

V. Externalisation, retours et partages d’informations

Au-delà de la réception et l’analyse des déclarations de soupçons, la mission des CRF est de pouvoir transmettre et disséminer le résultat de leurs analyses (opérationnelles et stratégiques) aux autorités compétentes concernées. Plusieurs pans de ce partage d’information ont été peaufinés ou ajoutés dans le nouveau paquet législatif, donnant à la communauté européenne des CRF des moyens plus efficaces de contribuer à des résultats concrets dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Les autorités compétentes auxquelles les CRF doivent pouvoir disséminer des informations incluent les autorités exerçant des fonctions en matière d’enquêtes ou de poursuites ou en matière juridictionnelle, mais également d’autres autorités qui ont des rôles spécifiques liés à la lutte contre le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes et le financement du terrorisme, auxquelles les CRF doivent pouvoir transmettre des analyses opérationnelles ou stratégiques lorsqu’elles jugent que les résultats de leurs analyses sont pertinents pour l’exercice des fonctions de ces autorités.

1. Confidentialité des déclarations

Un premier point important lorsque l’on se penche sur l’externalisation par les CRF d’informations aux autres autorités compétentes concerne la confidentialité des déclarations, dans un souci de protection de l’identité de leurs auteurs. Le législateur européen a désormais explicitement prévu dans la directive (UE) 2024/164030 que la source de la déclaration de soupçons ne soit pas divulguée lorsque la CRF dissémine des informations ou lorsqu’elle répond à une demande d’informations de la part des autorités compétentes. Ce principe, d’importance primordiale, ne devrait néanmoins pas empêcher les CRF de disséminer des informations pertinentes, y compris, par exemple, des informations sur des numéros IBAN et des codes BIC ou SWIFT. Avec cette règle, l’importance du rôle des entités assujetties dans le volet préventif de LBC/FT est mise en exergue en les protégeant le plus possible contre tout effet discriminatoire ou néfaste à la suite de la transmission d’un soupçon à la CRF nationale.

C’est également dans cette optique que nous comprenons les choix qui sont faits concernant les règles applicables à la protection de la vie privée et au traitement de données à caractère personnel dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L'accès d’une personne visée par une déclaration de soupçons aux informations la concernant nuirait en effet non seulement gravement à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, mais mettrait également en danger l’entité assujettie qui a honoré son obligation d’effectuer une déclaration de soupçons. Cela explique dès lors que des exceptions et restrictions au droit d’accès de la personne concernée soient prévues, cette dernière pouvant uniquement demander à une autorité de surveillance visée à l'article 51 du règlement (UE) 2016/679 ou, le cas échéant, au Contrôleur européen de la protection des données de vérifier la licéité du traitement. Sans préjudice des restrictions au droit d'accès, l'autorité de surveillance pourra uniquement informer la personne concernée que toutes les vérifications nécessaires ont été effectuées et du résultat en ce qui concerne la licéité du traitement en question, sans parler de l’analyse effectuée ou en cours par la CRF.

2. Communication d’informations aux superviseurs et feedback aux entités assujetties

Afin de garantir une approche globale et cohérente ainsi que de renforcer l’efficacité du dispositif de LBC/FT, il est également important que les CRF et les superviseurs coopèrent et échangent des informations de manière effective. Pour aider les superviseurs à déterminer les secteurs dans lesquels les risques sont plus élevés ou le respect des obligations plus faible, il est prévu que les CRF leur fournissent, spontanément ou sur demande, des informations relatives notamment à la qualité et à la quantité des déclarations de soupçons soumises par les entités assujetties, la qualité et la rapidité de leurs réponses aux demandes effectuées et les résultats pertinents d’analyses stratégiques. Les CRF sont également chargées de notifier aux superviseurs lorsque des informations en leur possession indiquent des violations potentielles, par les entités assujetties, des règlements (UE) 2024/1624 et (UE) 2023/111331.

Au niveau du feedback à fournir aux entités assujetties, il est prévu que les CRF devraient fournir au moins un fois l’an un retour d’information sur la qualité et la rapidité des déclarations de soupçons, sur la description des soupçons et sur tout autre document fourni par les entités assujetties32. Lorsque cela ne compromet pas le travail d'analyse ou d'enquête, les CRF pourraient envisager de fournir un retour d'information sur l'utilisation ou les résultats des déclarations de transactions suspectes, que ce soit sur des déclarations individuelles ou sous une forme agrégée. Il n’est néanmoins pas demandé aux CRF de donner un feedback spécifique pour chaque déclaration reçue, ce qui serait impossible vu le nombre de déclarations transmises aux CRF européennes, mais plutôt de partager des informations pertinentes comme compléments d’informations à celles que les autorités de contrôle fournissent aux entités assujetties afin de mieux cibler leur travail dans le domaine LBC/FT. Entre-temps, la CTIF a déjà commencé à chercher en collaboration avec les superviseurs des formules efficaces pour fournir aux groupes de déclarants un retour d'information adapté à leurs besoins.

3. Partenariats en matière de partage d’informations

Les partenariats en matière de partage d’informations entre les entités assujetties et, le cas échéant, les autorités compétentes sont devenus des outils de coopération et d’échange d’informations de plus en plus importants dans certains États membres. Le règlement (UE) 2024/162433 prévoit des règles applicables à l’échange d’informations lors de la mise en place de tels partenariats, notamment en vue d’offrir des garanties solides en matière de confidentialité, de protection des données, d’utilisation des informations et de procédure pénale.

Le législateur européen souligne par exemple que les informations reçues dans le cadre d’un partenariat en matière de partage d’informations ne devraient pas à elles seules être utilisées pour tirer des conclusions sur le risque que représente le client ou la transaction ainsi que sur le sort d’une relation d’affaire ou l’exécution d’une transaction. Nous noterons également que l’échange d’informations sur les déclarations de soupçons ne peut avoir lieu que si la CRF à laquelle la déclaration a été présentée a approuvé cette divulgation. Le fait que des informations opérationnelles et des données à caractère personnel soient échangées, sous réserve de garanties strictes, dans le cadre de partenariats en matière de partage d’informations ne remplace par ailleurs pas les exigences prévues dans le règlement (UE) 2024/1624 en ce qui concerne le signalement de tout soupçon à la CRF compétente. Lorsque les entités assujetties détectent des activités suspectes sur la base d'informations obtenues dans le contexte d'un partenariat, elles restent tenues de signaler ce soupçon à la CRF de l'État membre dans lequel elles sont établies. 

Compte tenu du mandat de l’ALBC en matière de prévention et de détection du blanchiment de capitaux, de ses infractions sous-jacentes et du financement du terrorisme, le règlement 2024/1620 prévoit également une possibilité pour l’ALBC de mettre en place un partenariat pour l’échange d’informations afin de poursuivre cet objectif.

VI. Conclusion

Vu les différentes évolutions mises en lumière, l’impact qu’aura le nouveau paquet législatif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sur le travail des cellules de renseignement financier (CRF) sera non négligeable. Nous aurions encore pu aborder d’autres sujets propres aux CRF tels que la désignation d’un officier préposé aux droits fondamentaux ou les possibilités de médiation et d’examen par les pairs organisés par la nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC) compte tenu de la robustesse du nouveau corpus législatif, tant pour les CRF que pour les autres acteurs de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Nous estimons que le nouveau paquet législatif européen comporte en son sein une évolution de taille pour les différents acteurs impliqués et nous pensons que ce train de mesures innovant offrira la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux modus operandi développés par les criminels, toujours prêts à ruser afin de contourner les mécanismes existants. Les criminels disposent en effet de moyens importants en vue de blanchir leurs capitaux d’origine illicite, et le fait qu’ils ne respectent par essence aucune règle leur permet de s’adapter facilement. Les CRF ne peuvent donc compter que sur un champ d’action et un cadre règlementaire forts, deux préalables que leur offre selon nous le corpus législatif récemment adopté. Travaillant activement quotidiennement au sein d’une CRF, nous regardons dès lors vers l’avenir avec optimisme afin de contrer les procédés mis en place par les criminels.


  1. Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, JO L du 19/06/2024.↩︎

  2. Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2024 relative aux mécanismes à mettre en place par les États membres pour prévenir l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant la directive (UE) 2019/1937, et modifiant et abrogeant la directive (UE) 2015/849, JO L du 19/06/2024.↩︎

  3. Règlement (UE) 2024/1624 du Parlement Européen et du Conseil du 31 mai 2024 instituant l’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010, (UE) no 1094/2010 et (UE) no 1095/2010, JO L du 19/06/2024. Ce règlement est applicable à partir du 01/07/2025.↩︎

  4. Du 1er janvier au 30 juin 2024, la Belgique a en effet assuré la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, couvrant une période à cheval entre deux législatures. Des représentants de la CTIF ont dans ce cadre participé aux trilogues précédant l’adoption des textes.↩︎

  5. Directive (UE) 2024/1640 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) no 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, JO L 141/73 du 05/06/2015.↩︎

  6. Voir notamment le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil portant évaluation du cadre pour la coopération entre les cellules de renseignement financier [COM(2019) 371].↩︎

  7. Considérant 7 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  8. Voir notamment le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'évaluation des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme pesant sur le marché intérieur et liés aux activités transfrontières [COM(2022) 554 final].↩︎

  9. Article 80 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  10. Article 80, paragraphe 4, alinéa 2 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  11. Considérant 162 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  12. Article 3 point 3) f) Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  13. Article 74 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  14. Voir Chapitre III “Vigilance à l’égard de la clientèle” du Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  15. Voir Chapitre V “Obligations de déclaration” du Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  16. Article 69 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  17. Article 74 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  18. Article 19 Directive (UE) 2024/1640.↩︎

  19. Article 69, paragraphe 5 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  20. Article 72 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  21. Article 69, paragraphe 1, a) Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  22. Article 69, paragraphe 3 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  23. Article 71 Règlement (UE) 2024/1624.↩︎

  24. Voir Chapitre II, Section 1 Directive (UE) 2024/1640.↩︎

  25. Voir Chapitre II, Section 2 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  26. Article 21 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  27. Article 24 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  28. Article 32 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  29. Articles 40 – 43 Règlement (EU) 2024/1620.↩︎

  30. Article 36 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  31. Règlement (UE) 2023/1113 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2015/849, JO L 150 du 09/06/2023.↩︎

  32. Article 28 Directive (EU) 2024/1640.↩︎

  33. Article 75 Règlement (EU) 2024/1624.↩︎

Author

Kris Meskens

Institution:
CTIF

Position:
Secrétaire-général


Julie Vanstappen

Institution:
CTIF

Position:
Analyste senior – juriste opérationnelle