Feuille de route et droits de la défense
Les enquêtes défensives à l’étranger

Abstract

The Italian criminal law system, unlike the systems in many other European countries, allows the defense to carry out defensive investigations on behalf of his/her client. In this contribution, the shortcomings of the recent European legislation on the matter are analyzed, as well as the issue of the validity in Italian criminal proceedings of defensive investigations conducted by the defense council abroad. The admissibility in the criminal case of defensive investigations conducted abroad by an Italian defense lawyer was, in fact, already rejected ten years ago by the Italian Court of Cassation. The Court stated that the official state instruments of international mutual legal assistance in criminal matters must be used if investigations are carried out abroad. The authors argue in this contribution that this position cannot be upheld in a unified Europe and deserves fundamental reconsideration. They also advocate a European solution of defensive investigations abroad – a possible topic for a new EU roadmap on defensive rights.

I. La feuille de route

La Résolution du Conseil du 30 novembre 20091 et ensuite le Programme de Stockholm2 ont invité les États membres de l`Union européenne à entreprendre une action commune, visant à renforcer les droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, notamment en adoptant une feuille de route. Celle-ci prévoit l'adoption de plusieurs mesures - dont l'ordre de mise en œuvre est indicatif - en matière de traduction et d'interprétation (mesure A), des informations relatives aux droits et à l’accusation (mesure B), à l’assistance d’un conseiller juridique et aide juridictionnelle (mesure C), à la communication avec les proches, les employeurs et les autorités consulaires (mesure D), aux garanties particulières pour les suspects ou les personnes poursuivies qui sont vulnérables (mesure E), et, enfin au livre vert au sujet de la détention provisoire (mesure F).

Bien que ce parcours tourne maintenant vers sa fin, par l'adoption de directives de l’Union européenne qui sont actuellement en voie de transposition dans les différents Pays membres, il ne semble pas que ce cheminement soit entièrement achevé En effet, quant à la mesure C, concernant, plus en général, les droits de la défense, sont désormais adoptées la directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat,3 la directive 2016/800/UE4 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies et, enfin, la directive 2016/1919/UE.5 Aucune de ces trois mesures, toutefois, ne touche le thème des enquêtes de la défense qui sont même interdites dans certains pays de l'Union européenne. Ce profil a en particulier émergé lors d'une récente conférence, qui a eu lieu au Tribunal de Milan le 23 Septembre 2016, dans laquelle, cependant, le Conseil de l'Ordre des Avocats de Milan et le Conseil du Barreau de Dijon ont signé un Protocole de coopération visant à promouvoir, parmi d’autres, l'échange des informations et des bonnes pratiques.6

Par ailleurs, le thème des enquêtes de la défense ne semble pas avoir été tout à fait abordé et ce même dans le contexte d’autres directives, parmi lesquelles la directive 2014/41/UE du 3 avril 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale7 qui ne semble pas avoir prévu un véritable pouvoir de la défense de mener des enquêtes à l'étranger.

II.  Les enquêtes de la défense en Italie.

Le thème des enquêtes défensives est certainement très délicat et représente un instrument nouveau aussi pour l'Italie, où le défenseur peut mener ses propres enquêtes depuis l’adoption de la loi du 7 Décembre 2000, n. 397, qui a introduit des dispositions correspondantes dans le Code de procédure pénale italien,8 à l'origine réformé en 1988.9

La nécessité d'inclure la possibilité pour l’avocat de se défendre tout en présentant ses propres preuves descend directement du modèle accusatoire, selon lequel les parties se trouvent sur un plan d’égalité face au juge, et aussi de la Constitution italienne, qui prévoit l'application du principe du contradictoire dans la formation de la preuve, permettant, donc, de voir les enquêtes défensives comme une déclinaison de l'égalité des armes. L'introduction de cette discipline a représenté pour l'Italie un changement culturel, avant même d’être un changement juridique, de sorte qu'on y est parvenu après des nombreux débats .10

Actuellement, en Italie, le défenseur dispose de certains moyens d'enquête, qui rendent plus concret et vraiment efficace le droit à la défense de l’avocat. Parmi ceux-ci sont les possibilités du défenseur:

  • d’effectuer des rencontres non documentés ;

  • d’écouter des personnes informées sur les faits ;

  • de recueillir des déclarations écrites par ceux-ci ;

  • de demander des documents et des informations à l'administration publique ;

  • d’effectuer des accès aux lieux publics ou privés (dans le cas de l’accès aux lieux privés, il nécessite d’une autorisation préalable de la magistrature, même si cet acte est le fait de son initiative) ;

  • de demander des conseils aux témoins experts.

Les moyens sont disponibles même pendant l'enquête «préventive», c’est-à-dire dans le cas où il n’existe pas encore, au niveau formel, une affaire pénale.11,

Tout cela vaut aussi longtemps que l'on reste sur le territoire italien. Quant au déroulement de ces opérations défensives à l'étranger - qui pourraient aussi avoir une importance décisive pour démontrer l'innocence de la personne assistée - la jurisprudence italienne a montré une certaine résistance relative à leurs légitimité. Le seul cas dans lequel elle a pris une position à ce sujet a été décidé il y a désormais dix ans. Les thèses de la jurisprudence italienne sont présentées sous titre III suivi par un avis critique sur cette position. .

III. La position de la jurisprudence italienne au sujet des enquêtes défensives à l’étranger.

Le thème des enquêtes défensives à la territoire étranger n'a pas été particulièrement approfondi dans la jurisprudence italienne en fait, parce que – comme l’on a vu – l’introduction des enquêtes de la défense est assez récente, et il n’y a donc eu une augmentation progressive de leur utilisation dans les procès que depuis ces dernières années, et ce soit parfois en raison d'un manque de compétence de la part des avocats mêmes, soit par manque de confiance dans les résultats possibles face à la justice.

La Cour de Cassation n’a pris une position formelle qu’une seule fois et cela il y a plusieurs années.12 Ses arguments n’ont pas tout à fait convaincu une partie de la doctrine italienne. De nombreux auteurs, en effet, ont considéré les thèses de la Cour sur la possibilité des enquêtes défensives à l’étranger comme superficielles et, désormais anachroniques. Dans le cas examiné la Cour a considérée comme inutilisable une déclaration recueillie sous la forme d'enquête défensive en Bulgarie, car elle était prive des formes que toute activité à l'étranger doit être exercée avec l'utilisation de l'instrument des commissions rogatoires internationales.13 Concrètement, se poser la question de savoir si l’on pouvait considérer comme existant, en Italie, une interdiction explicite d’effectuer une enquête de la défense de façon indépendante à l'étranger, étant aussi empêchée la possibilité, pour le même défenseur, d’accéder, de façon indépendante, à la procédure des commissions rogatoires, réservée aux magistrats. Le défenseur, donc, serait dans la situation de devoir forcement s’adresser à la magistrature, de sorte que celle-ci initie directement la procédure prévue aux articles 723 du Code de procédure pénale italien, avec la conséquence de pouvoir subir un rejet et d’être forcé de montrer ses cartes trop tôt, avec le risque d'avoir retrouvé une preuve contra reum. En effet, confier à la seule magistrature la possibilité de demander aux autorités étrangères de procéder avec une commission rogatoire signifierait tout à fait lui consigner le monopole sur les enquêtes défensives, tout en confiant un choix très délicat à la discrétion d'un organe qui, après avoir effectué la commission rogatoire,14 devrait nécessairement déposer la preuve aux actes du procès. Le défenseur, donc, devrait décider s’il souhaite demander l’intervention de la magistrature "dans le noir" ou pas, tout en risquant d'acquérir une preuve à charge pour la personne assistée15.

Au-delà du fait, par conséquent, d’une disparité évidente entre l'accusation et la défense, la présence d'une preuve sur territoire étranger ne peut certainement pas avoir des conséquences négatives sur la défense de l'accusé.16 Ce thème se croise, toutefois, avec le respect de la souveraineté nationale et des intérêts publics de chaque État. Vu que l'exercice de la compétence pénale serait l'une des expressions de la souveraineté d'un État - avec le résultat qu'un autre pays ne serait pas libre d’effectuer sur le territoire du premier des actes qui soient l'expression de domination ou de contrainte. La mise en place de tout acte de procédure sur un autre territoire serait au moins nécessaire, sous peine de rompre les relations diplomatiques, de trouver un consensus avec le pays titulaire.17 Mais à ce sujet l’on doit donc se demander si un acte d'enquête mis en place par le défenseur peut vraiment être considéré comme un acte de domination. En droit italien, en fait, le défenseur qui effectue des enquêtes privées n’a pas un rôle de nature publique, mais procède tout simplement à des activités,18 dans lesquelles les organes judiciaires ne sont pas impliqués. Dans les faits, il n'est jamais investi ni de pouvoirs publics ni de coercition, en agissant uniquement sur la base du consensus et en se fondant sur la coopération du sujet visé par l'enquête, tout en étant obligé de s’adresser au procureur et au juge en cas d'absence de consentement du titulaire du droit impliqué.19 Face à cela, il n’est pas obligé au dépôt de ses propres actes d’enquête auprès du tribunal.20

IV. Conclusions.

L'approche, avec laquelle la Cour de Cassation italienne en fait renvoie le défenseur italien à la procédure des commissions rogatoires s’il veut effectuer des enquêtes défensives à l’étranger (v. III) remonte à dix ans et ne semble plus vraiment compatible avec la réalité qui entoure désormais l'Europe, de sorte que la solution semble devoir être recherchée au niveau du législateur européen, plutôt que dans chaque juridiction. Comment les droits procéduraux des suspects et des personnes accusées peuvent-ils être vraiment protégés si l’avocat qui les représente ne dispose pas de moyens d'action vraiment pratiques et efficaces? L'innocence d'un homme ne peut certainement pas se limiter à la compétence territoriale, même face à l’évolution du rôle du défenseur, de plus en plus «enquêteur».

En outre, toutes insuffisances du modèle de la commission rogatoire sont maintenant bien connues en Europe, parce que cet instrument semble encore trop lié à des contraintes formelles et bureaucratiques excessives, par rapport aux exigences de vitesse de la procédure.21 Il ne s’agit pas d’un hasard si l’on a recherché des solutions alternatives, visant à une plus grande efficacité. Ce sont précisément la lenteur et les difficultés de ces instruments, qui ont conduit à la recherche de nouvelles initiatives transnationales visant à encourager la circulation des mesures de dialogue direct entre les autorités, sur la base de la confiance mutuelle dans le système juridique d'un autre État membre de l’Union européenne.22 Même la directive 2014/41/UE n’exprime pas tout à fait clairement les prérogatives dont disposerait le défenseur, avec une référence particulière au droit de se défendre tout en apportant ses propres preuves.23 Dans les faits, il ne semble pas s’être encore réalisé - sous le profil que l’on analyse - un vrai pas en avant, car il est prévu que la demande de l'avocat devrait avoir lieu, une fois de plus, conformément à la loi et à la procédure pénale nationale, revenant donc au point de départ. Il est peut-être temps de dépasser une interprétation obsolète et anachronique, tout en acceptant l'idée d'un avocat de plus en plus dynamique et pluridisciplinaire, pas limité aux frontières territoriales et spatiales, opérant ainsi un changement décisif des mentalités de la part de tous les praticiens du droit.24


  1. Résolution du Conseil du 30 novembre 2009 « relative à la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales », J.O. C. 295 du 4.12. 2009,

  2. Programme de Stockholm – « Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens », J.O. C 115 du 4.5. 2010,

  3. J.O. L 294 du 6.11.2013,

  4. J.O. L 132 du 21.5.2016, V. L. Camaldo, “Garanzie europee per i minori autori di reato nel procedimento penale: la direttiva 2016/800/Ue in relazione alla normativa nazionale, Cass. pen., 2016, 12, 4572.

  5. J.O. L 297 du 4.11.2016, p. ##. V. L. Camaldo, “La direttiva 2016/1919/UE sul gratuito patrocinio completa il quadro europeo delle garanzie difensive nei procedimenti penali”, Diritto Penale Contemporaneo, 13.12.2016 ; S. Cras, The Directive on the Right to Legal Aid in Criminal Proceedings and in European Arrest Warrant Proceedings, présenté dans ce numéro.

  6. A’ ce propos, à la fin du Congrès e été adoptée une recommandation adressée aux Institutions de l’Union européenne, pour que dans les mesures de la feuille de route soient aussi incluses des dispositions concernant les enquêtes de la défense à l’étranger.

  7. J.O. L 130 du 1.5.2014, p. 1. V. L. Camaldo et F. Cerqua, “La direttiva sull’ordine europeo di indagine penale: le nuove prospettive per la libera circolazione delle prove”, Cass. pen., 2014, 10, 3511.

  8. Il s’agit du Titre VI bis du livre cinquième du Code de procédure pénale italien. Le code de procédure pénale ne représente pas la seule source en matière d’enquêtes de la défense; en effet le thème touche aussi la déontologie de l’avocat et les données personnelles, dont le défenseur peut prendre connaissance tout en faisant des actes d’enquête. Parmi les sources il faut donc mentionner les Règles de comportement du pénaliste dans les enquêtes défensives -c’est un texte approuvé par l’Union des Chambres Pénales le 14 juillet 2001, ensuite modifié en 2007 – et le Code de déontologie de l’avocat, approuvé par le Consiglio Nazionale Forense le 31 janvier2014. Enfin il y a aussi des dispositions dans le « privacy  code», c'est-à-dire le Decreto Legislativo 196/2003 et le Code de déontologie et de bonne pratique pour le traitement des données personnelles dans les enquêtes de la défense.

  9. Decreto del Presidente della Repubblica 22 septembre 1988, n. 447, suppl. ord. n. 92 à Gazzetta Ufficiale , Serie gen. N. 250 du 24 octobre 1988. Il faut aussi mentionner la loi constitutionnelle du 23 novembre 1999, n. 2 (in G.U. 23.12.1999 n. 300) qui a effectué des modifications à l’article 111 de la Constitution italienne, pour le rendre plus compatible avec les principes de l’article 6 CEDH.

  10. La nécessité d’une loi qui autorisait le défenseur à effectuer des actes d’enquête avait été aussi soulignée dans les travaux préparatoires du nouveau code de procédure pénale et cela en raison du fait qu’un système qui s’inspire au modèle accusatoire ne pouvait pas ignorer ce thème. La première solution adoptée voyait l’introduction d’un article extra codicem, c'est-à-dire l’article 38 du Decreto Legislativo 271/1989 qui fut considérée inapproprié et la disposition fut après supprimée en 2000.

  11. L’article 327 bis du Code de procédure pénale permet d’effectuer les enquêtes de la défense à partir du moment de l’assomption du mandat de la part du défenseur, dans chaque moment du procès, dans la phase de l’exécution et aussi pour promouvoir le jugement de révision. Donc dans toutes les situations dans lesquelles il serait nécessaire de rechercher des éléments de preuve dans l’intérêt de la personne assisté.

  12. Cour de Cassation italienne, Sez. I., 29.05.2007 (dep. 19.06.2007), Giur. It., 2008,4, 986.

  13. Cour de Cassation italienne, , op. cit.

  14. Il faut aussi préciser qu’il ne semble pas exister aucune possibilité de recours vers cette décision de rejet de la part du magistrat concernant la possibilité de procéder à la commission rogatoire. V. C. Angeloni, “L’inammissibilità di investigazioni difensive all’estero: una ricostruzione plausibile?”, Riv. It. dir. pen. proc., 2008, 1391.

  15. G. Biondi, “La giurisprudenza in tema di investigazioni difensive, con particolare riferimento all’attività di assunzione di informazioni, Giur. Mer., 2008, 26 ; V. D. Curtotti Nappi, “I nuovi orizzonti investigativi del difensore: le informazioni assunte all’estero”, Giur. It., 2008, 4, 987.

  16. M. Bordieri, “Brevi note sull’inutilizzabilità di atti di investigazione svolti all’estero dal difensore dell’imputato senza passare attraverso una rogatoria internazionale”, Cass. Pen., 2009, 5, 2035.

  17. M. Bordieri, op. cit. (n. 17), 2035.

  18. M. Marchetti, “L’assistenza giudiziaria internazionale”, Milano, 2005, p. 128.

  19. A. Mangiaracina, “Ancora zone d’ombra in tema di ammissibilità della revisione e indagini difensive svolte all’estero”,Giur. it., 2009, 1244 (1249).

  20. G. Biondi, , op. cit. (n. 16), 26.

  21. F. Albano, Sui limiti territoriali delle indagini difensive: note a margine di una discutibile pronuncia,CP 2008., 4708 (4710).

  22. A. Gualazzi, “Lineamenti europei del diritto di difesa”, in : “La circolazione investigativa nello spazio giuridico europeo: strumenti, soggetti, risultati” (a cura di) L. Filippi, P. Gualtieri, P. Moscarini, A. Scalfati, Cedam, 2010, p. 203.

  23. F. M. Grifantini, “Ordine europeo di indagine penale e investigazioni difensive”, Proc. Pen. e Giust., 2016, 6, 6.

  24. G. Biondi, , op. cit. (n. 16), 30 ; V. Gualazzi, , op. cit. (n. 23), p. 211.